La nuit était tombée, de cela les deux créatures étaient sûres...
Ce n'était pas une "Nuit sans Fin", ou une de ces soirées où monstres et nécromants sortent et terrorisent le monde. A croire que chaque terre n'attend que la venue de ces êtres pour apparaître dans les livres, et que chaque homme espère en silence massacres et désolations pour révéler le soi-disant héros qui sommeille en lui...
Ce n'était qu'une nuit parmi tant d'autres...
- Ca y est. Nous voilà privé de lumière, commença une voix grave,âyant fait traîner plus que la normale le son -s.
- Il fallait se douter que cela arriverait tôt ou tard. Au moins ne verrons nous pas les ombres s'agiter sur les murs, fut-il répondu.
- Savez-vous, Humain, les raisons qui font que vous êtes enchaîné à mes côtés ?
- En aucun cas Dragon. Je ne me souviens même pas de mon nom, comment connaîtrais-je mon passé ?
- Il en va de même pour moi... Nulle pensée ne jaillit des brumes de mon esprit.
Les deux êtres s'étaient réveillés tous les deux au crépuscule. Les membres enchaînés, les ailes du reptile immobilisées... Les yeux ne pouvaient que contempler le mur qui leur faisait face, et sur la paroi, en plus de ce qu'ils devinaient être leurs ombres, d'autres passaient, s'arrêtant parfois pour les contempler, puis repartaient.
- Sommes nous des criminels, avons nous été jugés, reprit le Dragon.
- Je n'en sais rien, c'est là une bien étrange énigme qui nous assaille.
Le Dragon resta silencieux quelque temps, tandis que l'obscurité s'accentuait un peu plus.
Dans leur dos, nul bruit, nulle présence. Ils étaient seuls dans les Ténèbres.
- Je pense, reprit l'Humain, que nous serons d'accord sur une éventuelle entente, afin de retrouver nos mémoires perdues... Si nous sommes ici aujourd'hui, il m'apparaît comme évident que nous nous connaissions autrefois.
- Je partage cette opinion, répondit laconiquement le Dragon. Comment allons-nous libérer ?
- La nuit porte conseil.
Quelques autres minutes passèrent, ou peut-être est-ce plusieurs heures. Les deux compagnons gardaient obstinément les yeux ouverts, au fond d'eux, ils espéraient peut-être sentir quelque chose agiter leurs chaînes, quelque chose d'alliés ou au contraire quelque chose de plus dangereux. Mais quelque chose en tout cas...
- Si nous ne nous souvenons pas de nos noms, comment allons-nous appeler ? Dragon pour vous, et Humain pour moi.
- D'un certain côté, ce serait logique. N'êtes vous pas humain ? Malgré mon crâne immobilisé, mes yeux auraient mal vu ? Mais j'avoue que cela est plutôt... triste.
- Je me souviens d'une légende, d'un récit que l'on m'a conté, ou peut-être que j'ai lu... Cela ne fait pas de différence. Bref... Il s'agit du seul nom qui me vient à l'esprit... Dalamar.
- Et que faisait cet homme, dans votre récit, demanda le Dragon.
- Je ne sais plus exactement, souffla l'Humain. Une vague histoire de magie, de trahison et de souffrance.
- Voici des thèmes qui sont peut-être les clés de notre passé, conclut le reptile. Parlait-on de Dragons également.
- Oui, des tas, répondit le nouvellement nommé Dalamar. Et parmi eux, il y en avait un bleu, tout comme vous, un Dragon fier et mystérieux, mais honni et redouté... Khellendros.
- Je prends, dit le Dragon.
Par la suite, plus aucun d'eux ne reprit la parole. Et cette nuit, si ordinaire, passa...